J’ai été agréablement surpris de lire la réaction de Son Excellence le Président Bassirou Diomaye Faye sur les navetanes. Je saisis cette opportunité pour remettre au goût du jour une publication que j’avais émise en 2008 dans la presse sportive de son temps.
« Point de vue sur les Navétanes »
La période des navétanes va généralement de Juillet à Octobre pour l’intérieur du pays mais se prolonge jusqu’en janvier pour Dakar. Cette activité concerne de larges franges de la population qui, sont directement ou indirectement impliquées, à savoir des enseignants, des étudiants ou élèves vacanciers mais aussi des chômeurs et mêmes de nombreux apprentis ou travailleurs de l’informel comme les vendeurs ambulants et les ouvriers. Mêmes les parents, à cause de la fibre affective se sentent concernés. Tant que les matches de football des navétanes se jouaient uniquement les week-end (samedi et dimanche), laissant place à d’autres activités culturelles et éducatives bénéfiques, il n’y avait pas de quoi fouetter un chat. Mais de nos jours, on joue en petites catégories, les matins et en seniors, les après-midi ou la nuit, du lundi au dimanche et de manière continue jusqu’à des heures avancées sous les projecteurs dans certaines localités. Cette massivité de la pratique, perçue par certains comme un succès ou un glorieux engouement me rend sceptique, me trouble et me pousse à une réflexion à laquelle je voudrais convier tous mes compatriotes, pour en tirer les leçons et rectifier le tir si besoin en est.
Les navétanes et le football du pays
Le grand perdant face aux navétanes est certainement le football amateur géré par la Fédération. En effet, l’engouement et la popularité du mouvement Navétanes, en plus de son caractère envahissant, ont fini de mettre à genoux toutes les tentatives de réorganisation du football national dont de nouvelles bases ont été définies pendant les ETATS GENERAUX de 1987 auxquelles j’ai personnellement pris part. On est passé outre ces recommandations et cela de plusieurs manières dont je vais énumérer quelques-unes.
– La dégradation des infrastructures : aucun directeur de stade, même celui de Léopold Sédar Senghor n’a pu résister à la boulimie des Navétanes. Malgré l’apparence normale de son gazon, ceux qui y ont joué, le savent impraticable à cause de ses nombreuses crevasses, fruits de piétinements soutenus du sol, pendant qu’il était boueux sous la pluie. Les 2 pistes d’athlétisme des stades Iba Mar Diop et Léopold Sédar Senghor sont, à chaque fois que surviennent les vacances, dégradées par des foules de supporters déchaînés et incontrôlés. Après avoir abrité les différents championnats nationaux et coupes du Sénégal, de nombreux stades devaient être fermés pour réfection, ne serait-ce que pour 45 jours. Malheureusement, ils sont tous sur utilisés, matin et soir et même toute la nuit, pour ceux qui disposent de projecteurs. Que sont devenus les stades : Demba Diop, Lamine Guèye, Alboury Ndiaye, Maître Sèye, Lat dior, Ely manel Fall, Aline Sthoé Diatta, Iba Mar DIOP, après les compétitions navétanes ? On aura, construit un Stade dans chaque capitale régionale, à coups de milliards, ce serait une pure perte ; car, après une utilisation soutenue et abusive sans jachère, ils deviendraient bientôt des terrains impropres au développement d’un bon football national. Le gazon, à l’état boueux à cause des pluies, ne peut survivre aux piétinements.
– L’absence de formation des jeunes : à cause de leur caractère éphémère et informel, ces structures n’ont ni le temps ni l’expertise de former de jeunes footballeurs. Malheureusement, au détriment des écoles de football, pas encore au point mais qui, tant soit peu, parviennent à se faire remarquer, sont aussitôt monnayés par leur ASC au profit de centres de formations européens. Résultats : les jeunes talents ne passent plus par le championnat sénégalais, on les découvre, quelques années plus tard, dans un club en Europe. Il faut arrêter cette hémorragie !
– L’insuffisance de la couverture sanitaire : les équipes de quartier sont toujours l’affaire d’un groupe de bonnes volontés sans moyens et sans expertise pour gérer la santé physique des pratiquants. Ces derniers traînent souvent de petites blessures, mal soignées qui s’accumulent et finissent par les rendre inaptes au sport de haute compétition.
– La déperdition sur le plan financier : la popularité des Navétanes a fini d’accaparer tous les moyens, égards et gestes des mécènes ou des politiciens. Par exemple, un maire dont la commune compte 20 ASC, offre à chacune une subvention de 100000 francs et un jeu d’équipement (maillots, chaussures et ballons pour 150 000 francs ; cela fait 250 000 francs par ASC. Au total, les dépenses se chiffrent à 10 000 000, sans compter les autres dépenses pour organiser la « coupe du maire ». Pourtant, ce même maire, sollicité par le club fanion de la ville ne lui donne pas plus de 500 000 francs, pour aller représenter la commune en championnat ou en coupe du Sénégal. Que diriez-vous si la moitié de tout, soit 5 000 000 francs, lui était allouée ? A cet exemple typique du maire, on peut associer d’autres gestes de politiciens qui s’investissent pour le mouvement populaire et l’événementiel. C’est le cas des députés, des Directeurs Généraux et autres mécènes qui soutiennent les équipes de navétanes, au détriment de l’équipe fanion de leur localité. On pourrait faire allusion aux 4×4 de la République remises au mouvement Navétanes qui en sont une autre illustration, si l’on sait que la défunte FSF n’en disposait pas et qu’aucun inspecteur régional des sports ne possède même pas une petite voiture, pour assurer la mission que l’Etat lui a confiée dans la vaste 3 région qu’il couvre. De même, les ressources de sponsoring sont accaparées au détriment du football amateur.
– Déperdition du capital affectif et des ressources humaines : les activités navétanes sont limitées dans le temps et dans l’espace, ainsi donc quelles que soient leur popularité et leurs capacités de mobilisation, elles s’estompent d’un seul coup, comme une petite migraine du soir ou comme un rêve sans lendemain. Les acteurs retournent à leurs occupations et on n’en parle plus en attendant les vacances suivantes. Tout ceci tombe en chute libre. Que sont devenues les subventions, les cotisations, les ristournes et les produits des quêtes dans le quartier ? A l’heure du bilan, il ne subsiste que quelques petits sous qui ont pu échapper aux dépenses de regroupements et khons, entre autres. Quelles ont été les retombées socioculturelles ou économiques pour le quartier, le village ou la ville ? Pourtant certains dirigeants de Navétanes vont bomber le torse et se glorifier d’avoir réussi à mobiliser du monde. On devrait vraiment leur demander quel est, en termes de rendement économique ou social, leur apport pour le pays ? Seules quelques rares ASC parviennent à prolonger leurs activités sous forme de GIE ou autres structures utiles pour leur localité. Cette affection pour l’équipe du quartier, devrait être transférée et bénéficier au club de la ville ou de la région pour rehausser les moyens du championnat national.
– On ne peut passer sous silence les violences : l’objectif principal des nouveaux dirigeants du navétane était de massifier à tout prix sans éthique et sans déontologie car pour eux l’essentiel était d’enregistrer le maximum de licences et d’ASC à présenter aux politiques pour bénéficier d’égard et de subventions. Du coup on s’est retrouvé avec plusieurs ASC dans de petits quartiers. Il y’a même eu des ASC à connotation ethniques. C’étaient les sources de rivalités acerbes qui justifient les violences de toutes formes et qui souvent éclataient sur terrain du match et prolongeait dans le quartier pour se poursuivre pendant des jours et pouvaient entraîner des pertes de vie humaines et des blessures graves.
Les Navétanes et l’enseignement coranique
Notre tradition islamique nous obligeait, avec l’arrivée de l’école française, à retourner, pendant les vacances scolaires, dans les daaras de coins ou de village, pour apprendre ou réviser le coran et les hadiths. Malheureusement, le rythme effréné des compétitions des navétanes a fini de vider ces daaras. Et pire encore, grand nombre de petits talibés fuient leurs occupations d’origine pour aller faire du Navétanes. Le parent d’élèves que je suis, en sait quelque chose, compte tenu des difficultés que je rencontre pour obliger mes enfants à aller apprendre le coran, au moment où l’ASC du quartier doit jouer en cadets ou en seniors. Là aussi, j’aurais souhaité que les islamologues se prononcent.
Les Navétanes et les activités socio culturelles
4 Une encourageante pratique des navétanes consistait à la prise en charge par les ASC d’activités culturelles et éducatives comme les cours de vacances, les conférences, les dîner débats, pour ne citer que celles là. De soit disant programmes d’appui à l’éducation ont été initiés mais ils ont lamentablement échoué puisqu’étant budgétivores et non rentables. Je pense qu’à ce niveau, les dirigeants de l’ONCAV et les autorités du Ministère de l’Education qui en étaient les signataires, devraient être entendus par la CREI. Aujourd’hui, aucun membre des structures de navétane ne dispose du temps pour s’adonner à ces cours de vacances. Tous s’affairent autour de l’équipe de football qui doit livrer 3 ou 4 matches dans la semaine, en petites ou grandes catégories. Même les révisions à domicile sont perturbées. Les étudiants «octobristes» soucieux de leur avenir se voient obligés d’abandonner leurs ASC en pleines navétanes, pour retourner au campus afin de réviser ; alors que d’autres, enivrés par l’engouement populaire, préfèrent rester dans leur localité, au risque de redoubler ou de «cartoucher».
Les Navétanes et les travaux champêtres
Je me rappelle qu’étant étudiants ou élèves, fils de paysans, nous retournions au village, dès le début des vacances, pour aider les parents à cultiver les champs et nous en profitions même pour exploiter notre propre lopin de terre dont les produits devaient être revendus et l’argent utilisé pour subvenir à nos besoins en matériels scolaires et en habillement, à l’ouverture des classes. Mais, l’implication dans les activités de navétanes fini par pousser à abandonner cette bonne pratique. Aujourd’hui, malheureusement, c’est le cas dans tous les coins du pays. Partout, la fièvre des Navétanes est telle que les champs sont abandonnés aux vieilles personnes. Chaque fois qu’il y a match, les champs sont désertés par les bras valides (vacanciers ou non). Beaucoup de jeunes enfants qui, le matin, aidaient leurs parents à guider le cheval ou l’âne ou les bœufs servant à la traction du semoir ou de la houe laboureuse, sont de 08h à 13h en train de jouer en cadets. Allez savoir combien d’encadreurs et de spectateurs les accompagnent, à ces heures de travaux champêtres ! Au moment où les épis de mil portent leurs graines, et, en attendant les récoltes, ces jeunes garçons qui devaient aider à repousser les oiseaux granivores, sont en train de jouer ou de regarder les matches cadets. Aucun programme agricole ne peut réussir dans ce pays si les bras valides sont tous accaparés par une activité de loisir, non productive comme les navétanes.
Les navétanes et les autres petits métiers
Allez voir le mécanicien ou le menuisier du coin ou un autre artisan, au moment des matches de navétanes ! Il se plaindra de ne disposer d’aucun apprenti, parce que tous sont partis jouer ou supporter leur équipe.
A qui profitent les Navétanes ?
Tant que les Navétanes se limitaient à une simple activité non lucrative, pour simplement meubler les vacances et étaient dirigées par des bénévoles scolaires ou jeunes enseignants vacanciers, il n’y avait pas de mal. A présent, avec ce nombre énorme de matches à entrées payantes, avec des subventions, des sponsors et quelques fois postes de conseillers ou chargés de mission ou autres, il y a un énorme pactole financier qui aiguise des convoitises et beaucoup d’appétits. Cela justifie l’avènement d’un nouveau type de dirigeants, parfois déflatés, chômeurs chroniques et autres dont le seul lien avec le mouvement associatif est le désir de trouver les moyens de se faire les poches ou de se frayer un chemin pour une ascension sociale. Cette nouvelle race de dirigeants, opportunistes, et sans formation, a fini d’infiltrer toutes les structures administratives du football sénégalais. (Districts, ligues et fédérations.). Ils parviennent, en contrôlant les Navétanes, à exercer leur influence sur les autres structures de football, pour créer une réelle concurrence dans laquelle, ils tirent un profit évident. La nouvelle tendance, avec la multiplication des phases nationales et la création d’une champions league, n’est qu’une astuce pour prolonger leur campagne lucrative jusqu’au milieu de l’année scolaire.
Que faire ?
1 Réorientations :
– Recadrer les Navétanes : Il faudrait tout d’abord qu’on s’entende sur la définition des termes ODCAV, ORCAV, ONCAV. La terminologie CAV signifie : coordination pour (C), activités pour (A) et vacances pour (V). Nous estimons que, les activités de vacances ne se limitent pas uniquement au football, elles doivent intégrer d’autres dimensions qui font d’ailleurs qu’on ne devrait même pas les placer sous tutelle du ministère des sports et à fortiori les affilier à une fédération de football. On verrait mieux ces Navétanes au ministère de la jeunesse comme les « Vacances citoyennes ».
– Ramener la pratique à une simple activité de vacances, limitée dans le temps, qui débuterait une semaine après la fermeture officielle de l’année scolaire (31 juillet, donc le 07 Août et qui finirait le 21 septembre, c’est-à-dire une semaine avant l’ouverture de l’année scolaire (Premier octobre). – Limiter l’activité football à deux jours (samedi et dimanche) pour permettre, en semaine, de mener d’autres activités culturelles (théâtres, conférences, débats, sensibilisations), formatives (cours de vacances, Tics, religions), économiques (champs collectifs, GIE, CYBERT) et sociales (investissements humains, collectes de dons et distributions, etc.).
– Revoir le nombre d’ASC en regroupant celles d’un même quartier, seule condition pour limiter les compétitions dans le temps. Donner à ces ASC d’autres objectifs dont la finalité est le développement humain.
– Ramener les compétitions de football à leur caractère populaire sur des terrains de quartiers et n’utiliser les grands stades que pour les grandes finales.
– N’autoriser le Stade Léopold Senghor que pour la finale régionale de Dakar.
– Ne plus organiser de phases nationales.
2 Suppression?
– La solution de Yaya Diamé en Gambie qui, estimant que les Navétanes détournaient la jeunesse des activités de développement en général et de l’agriculture en particulier, les a tout bonnement et simplement interdites.
– Regardons un peu la pratique autour de nous et ailleurs, dans les pays qui ont vaincu le sous développement ou qui sont en voie de le faire, y trouve-t-on les Navétanes sous la même forme qu’au Sénégal ? Avisons alors et laissons tomber pour autre chose.
Il sera évidemment difficile de convaincre certains de nos compatriotes qui ont fini de tisser leur toile dans ces Navétanes pour en faire un métier. Nous avons, en faisant cette réflexion, souhaité simplement susciter un débat et laisser nos compatriotes donner leur avis. Nous avons la conviction qu’il faut réviser la copie pour que tant de moyens humains, matériels et financiers, mobilisés autour des Navétanes puissent être orientés vers des objectifs plus réalistes au service du développement de notre cher Sénégal.
Papa Amadou dit Abdoul Aziz GUEYE
Professeur retraité
Inspecteur d’arbitres et arbitre fédéral de football et ex membre de la Commission Centrale des Arbitres de Football, ex Trésorier général du Casa Sport de 1984 à 1992 ex Président de la ligue de Basket de Ziguinchor, Sédhiou et Kolda.
Ancien Vice-président de la Fédération Sénégalaise de Basket-Ball de 93 à 2003, Titulaire d’un MASTER en Management des SPORTS délivré par la chaire de l’Université de NEUFCHATEL en collaboration avec la FIFA, l’INSEPS et l’UCAD de Dakar.
Mail : famokho@gmail.com ou famokho@yahoo.fr