Le 29 novembre 2020, le Sénégal perdait l’un de ses plus grands footballeurs, Pape Bouba Diop, terrassé par une longue maladie à l’âge de 42 ans. De Rufisque, où il fit ses débuts, au Jaraaf, son tremplin vers une carrière internationale, jusqu’à son apothéose en Coupe du Monde 2002, l’homme a laissé une empreinte indélébile. Sobriété, rigueur et ambition ont marqué la trajectoire de ce milieu de terrain au physique imposant. Dsports.sn a décidé de s’intéresser sur son passage au Jaraaf, une période très peu connue par le grand public.
À travers les témoignages croisés de ses anciens coéquipiers, journalistes et dirigeants, ce portrait retrace l’ascension d’un joueur humble mais déterminé, qui a porté haut les couleurs du Sénégal tout en inspirant des générations entières. Pape Bouba Diop, le premier Lion à rugir en Coupe du Monde, reste une légende inoubliable.
Les débuts prometteurs au Jaraaf
Parmi ceux qui ont côtoyé Pape Bouba Diop dès ses débuts, Pape Ciré Dia, ancien capitaine du Jaraaf et international sénégalais, reste l’un de ses amis les plus proches à l’époque dans le club de la Médina. Ils étaient avec Henri Camara, les talents les plus prometteurs dans la petite catégorie du Jaraaf. À travers ses souvenirs, Pape Ciré Dia évoque non seulement le joueur exceptionnel, mais aussi l’homme humble et déterminé qui n’a jamais cessé de progresser. Une complicité née sur le terrain, mais qui allait bien au-delà des frontières du football.
Quand il a rejoint le Jaraaf, sa progression fut fulgurante. « Dès sa première année en équipe première, il est devenu titulaire indiscutable. Chaque saison, il progressait, jusqu’à devenir la force solide du Jaraaf », témoigne son ami Pape Ciré Dia.
« C’était un joueur qui avait déjà toutes les qualités défensives. Il était collant, un vrai marquage à la culotte il faisait. Mais il savait aussi jouer au football. Un jour, après un entraînement, je lui ai demandé : ‘Hé, toi, tu veux jouer à quel poste ?’. Il m’a répondu : ‘Je suis un numéro 10.’ Je lui ai rétorqué : ‘Non, tu as toutes les qualités d’un numéro 6.’ Sa puissance et sa vélocité impressionnaient déjà à l’époque. »
Derrière ce potentiel brut se cachait un jeune homme réservé, presque timide. Bouba s’entraînait avec rigueur, avant de rentrer chez lui à Teungueth. « Après les entraînements, je le déposais souvent à Colobane, où il prenait un car rapide pour rentrer à Rufisque. Il fallait vraiment insister pour lui arracher quelques mots, tant il était discret. Ce sont ces moments de simplicité que je garde précieusement en mémoire. », témoigne Mbaye Mbengue, ancien membre du Comité directeur du Jaraaf.
Un joueur spécial, au cœur d’une génération dorée
Pape Ciré Dia se souvient avec émotion de cette époque dorée à la fin des années 90. « Nous formions un trio inséparable avec Henri Camara et Bouba Diop. Sa taille et son jeu aérien étaient un atout majeur sur les coups de pied arrêtés. Il excellait aussi dans la récupération et la distribution. »
Cependant, Bouba était plus qu’un simple joueur talentueux. « Il était très sérieux, réservé, et d’une politesse rare. Son absence d’implication dans un match se ressentait immédiatement, à tel point que le coach Mbaye Mbengue le lui rappelait souvent. »
En dehors du terrain, Bouba partageait des moments fraternels avec ses coéquipiers. « Après chaque entraînement, il venait chercher Henri, et nous rejoignions ma maison à la rue 22 avant d’aller ensemble au stade. Nous étions inséparables. »
Les petites bêtises de l’adolescence
Dans ses souvenirs, Pape Ciré Dia évoque avec tendresse des moments de camaraderie. « On faisait beaucoup de choses ensemble. Pour vous dire qu’il était très sérieux. Un jour nous avions passé des appels dans une cabine téléphonique appelée télécentre à l’époque. Et on n’était reparti sans payer. Plus tard, Bouba a insisté pour qu’on retrouve le propriétaire afin de lui rendre son argent ». Il était sérieux, dur à cuir sur le terrain mais un peu timide loin des pelouses. En témoigne cette anecdote de souvenirs d’adolescent. « Un jour, se souvient Ciré Dia, nous avons croisé une jolie fille. Henri et moi l’avons appelée, mais Bouba a pris la poudre d’escampette ! La fille a ri en disant que notre ami était un trouillard. Bouba, fidèle à lui-même, nous a sermonnés après : ‘Le football, ce n’est pas pour des copinages. Il faut être sérieux dans la vie.’ »
Un héritage impérissable
Au-delà de ces souvenirs, Pape Bouba Diop laisse un héritage immense. « Il est le premier Sénégalais à avoir marqué dans l’histoire de la Coupe du monde », rappelle Pape Ciré Dia, avec fierté. Pape Bouba Diop restera à jamais dans le cœur des Sénégalais, non seulement comme un joueur exceptionnel, mais aussi comme un homme humble, sérieux et profondément humain. Quatre ans après sa disparition, ses amis, coéquipiers et supporters continuent de célébrer sa mémoire. Pour honorer sa mémoire, un panel d’anciens joueurs de sa génération porte désormais son nom : Variété Pape Bouba Diop. « C’est notre façon de lui rendre hommage. Bouba est parti, mais il fait toujours partie de nous. »
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Le colosse de Rufisque vu par Fantamady Keita
Journaliste au quotidien national Le Soleil et fervent supporter du Jaraaf de Dakar, Fantamady Keita revient sur les débuts du joueur, son ascension et l’héritage qu’il laisse derrière lui. Le journaliste se souvient avoir rencontré Pape Bouba Diop pour la première fois en 1994, alors qu’il intégrait l’équipe première du Jaraaf. Originaire de Rufisque, où il est né le 28 janvier 1978, Bouba s’était distingué dès son jeune âge dans les matches de navétanes, ces compétitions locales si populaires au Sénégal.
« Il avait déjà démontré ses qualités de footballeur racé, ce qui lui a valu d’être recruté par le Jaraaf. C’est là-bas que je lui ai parlé pour la première fois, après une séance d’entraînement sur le terrain annexe du stade Léopold Sédar Senghor. Henri Camara, son ami proche, me l’a présenté. Ce jour-là, Bouba m’a confié : ‘Grand, moi je veux aller jouer en France.’ Je lui ai répondu qu’il était au bon endroit pour y parvenir, car le Jaraaf savait reconnaître les talents et les encadrer. »
Dès ses premières apparitions, Pape Bouba impressionnait par son abattage et sa puissance. « C’était un milieu récupérateur incontournable dans le dispositif du Jaraaf. Il ratissait énormément et servait souvent Henri Camara, surnommé ‘Lapin Flingueur’ pour sa vitesse. Avec son physique imposant et une technique clairvoyante, il dominait le milieu de terrain. Il était timide et parlait peu, mais cette réserve était compensée par une rage de vaincre sur le terrain. Il ne lâchait jamais. Même après avoir perdu un ballon, il faisait tout pour le récupérer et en faire bon usage. »
Sa capacité à relever les défis était également exceptionnelle rappelle Fantamady. « Bouba adorait les défis. Au Jaraaf, il était aussi un excellent tireur de coups francs, grâce à une frappe puissante qui mettait souvent les gardiens adverses en difficulté. »
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« Très tôt, on voyait en lui un maître de l’entrejeu »
Ancien cadre de banque et membre du comité directeur du Jaraaf de Dakar, Mbaye Mbengue revient sur les souvenirs marquants de ce joueur légendaire lors de ses débuts au sein du club de la Médina. « On sentait déjà en lui quelqu’un prêt à tous les sacrifices pour construire une belle carrière. Il était sobre et calme, mais il imposait naturellement le respect. »
Sur le terrain, Bouba Diop se distinguait par ses qualités physiques et techniques qui faisaient déjà de lui un milieu de terrain prometteur. « Très tôt, on voyait en lui un maître de l’entrejeu. C’était un colosse qui courait, faisait de bonnes passes, et savait aussi être à la finition. »
Pape Bouba Diop a marqué les esprits lors de la saison 1997/1998, bien qu’elle se soit conclue sur une déception pour le Jaraaf. « Cette année-là, l’équipe a perdu le titre à la dernière journée. Mais c’était sa meilleure saison au club. Il faisait partie des valeurs sûres, aux côtés de grands noms comme feu Lamine Sarr, Henri Camara, Daffé, Bou Sy et le gardien Kana ».
« Jouer au Jaraaf l’a beaucoup aidé »
Son impact ne se limitait pas à ses performances sur le terrain. Au sein d’un groupe où certains joueurs, comme Baye Ndiaga et Kana, avaient des personnalités extraverties, Pape Bouba contrastait par sa discrétion et sa timidité. Selon Mbaye Mbengue, les entraîneurs du Jaraaf ne tarissaient pas d’éloges sur Pape Bouba Diop. « Il prenait énormément de plaisir à s’entraîner, et ses qualités techniques et physiques étaient remarquables. Très tôt, on a vu qu’il avait quelque chose de différent. Au Sénégal, nos milieux de terrain étaient souvent de petits gabarits. Lui, il avait cette stature imposante, alliée à une grande intelligence de jeu. C’était un profil unique. On ne pouvait que lui prédire une brillante carrière. Il était discret, travailleur, et toujours à l’écoute des consignes. »
Le passage de Bouba Diop au Jaraaf a été déterminant pour sa progression. « Jouer au Jaraaf l’a beaucoup aidé. Au club, l’exigence est de gagner chaque dimanche et de viser des titres. Cette ambition l’a préparé pour les défis plus grands qui l’attendaient à l’étranger. »
Le talent de Pape Bouba Diop n’est pas passé inaperçu. Après ses belles prestations avec le Jaraaf et l’équipe nationale des U20, il attire l’attention des recruteurs étrangers. Bouba poursuit sa carrière en Europe, évoluant en Suisse, en France, en Angleterre et en Grèce. Mais c’est lors de la Coupe du Monde 2002, en Asie, qu’il entre dans la légende en marquant le premier but du tournoi contre la France, championne du monde en titre.
Sa disparition en 2020, à seulement 42 ans, a laissé un vide immense. « Son image reste celle d’un footballeur qui a porté haut le drapeau sénégalais, aussi bien en club qu’en sélection. Son but contre la France restera à jamais gravé dans l’histoire du football mondial. », écrit le journaliste Fantamady Keita.
Khadim DIAKHATÉ
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