Le changement de calendrier des compétitions africaines est devenu une habitude à la Confédération africaine de Football. Le dernier en date, le report du Championnat d’Afrique des Nations. Cette compétition, qui était initialement prévue en février, aura finalement lieu en août prochain. Même la CAN 2025 qui se tiendra en terre marocaine à partir de décembre, devait être organisé depuis 2023 par la Guinée. Comment stopper les « glissements » à la CAF ? C’est le débat du vendredi.
Pour la petite histoire, c’est à partir de 2019 que la Confédération africaine de Football a commencé à perdre la maîtrise de son calendrier annuel. Surtout quand il s’agit d’organiser la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) ou le Championnat d’Afrique des Nations (CHAN).
Nous sommes en 2016 lorsque le président Issa Hayatou, encore à la tête de la CAF, décide d’attribuer trois CAN successives : 2019 pour le Cameroun, 2021 pour la Côte d’Ivoire et 2023 pour la Guinée. Jusque-là, tout va bien.
Mais un changement majeur au sommet interviendra un an plus tard. Le dirigeant camerounais cède le fauteuil à l’inattendu Ahmad Ahmad venu de Madagascar. C’est le début du chamboulement. « Quand Ahmad est arrivé, il a voulu marquer le coup avec une réforme inédite. Son pays, qui partageait son groupe avec le Sénégal n’avait aucune chance de terminer à la première place, synonyme de qualification à une CAN à 16. Il a donc décidé de proposer une compétition à 24 nations qui sera validée. Pourtant, les éliminatoires de la CAN 2019 avaient déjà démarré. », explique Demba Varore, journaliste à Dsports lors d’une édition spéciale sur le tirage au sort de la CAN 2025.
« Le Cameroun qui devait donc accueillir la CAN 2019 n’était plus capable. Parce qu’il fallait avoir au moins six stades qui répondent aux normes internationales. En l’espace de deux ans, c’était impossible. Finalement, l’organisation a été confiée à l’Egypte », ajoute le directeur de publication du média sénégalais.
Conséquence : Le Cameroun prend la place de la Côte d’Ivoire pour la CAN 2021, finalement reportée à 2022, et le pays des Éléphants récupère l’organisation de la CAN 2023 à la Guinée ( la compétition a eu lieu en 2024 ). Alors que la Guinée devait prendre le relais pour 2025, le pays de Sehrou Guirassy cédera logiquement la place au Maroc, faute d’infrastructures.
Il y a quelques semaines, l’Afrique de l’Est (Ouganda, Kenya, Tanzanie) devait accueillir la 8e édition du Championnat d’Afrique des Nations, mais la compétition, qui était prévue en février, a été reportée à la veille du tirage. Ce sera finalement en août. Si la compétition se tient vraiment.
« Revenir sur le couplage une fois sur deux des éliminatoires de la CAN et de la Coupe du monde »
De « glissement » en « glissement », la situation devient inquiétante à la CAF. « Il y a deux causes principales à mon avis. D’abord l’augmentation des exigences pour les pays organisateurs en termes d’infrastructures et de construction de stades qui peuvent entraîner des retards, des contretemps, des « glissements ». Ensuite, il y a une tendance à multiplier les compétitions, élargir les plateaux, avoir de plus en plus de pays qualifiés. Des éliminatoires qui s’étalent dans le temps, et donc ça surcharge le calendrier », analyse Patrick Juillard.
Selon ce journaliste sportif, consultant à Radio France internationale (RFI), ça limite un peu la possibilité d’ajuster les choses. « Je pense que ce ne serait pas mal que l’Afrique revienne à ce qui était le cas dans les années 2000 avec le couplage une fois sur deux des éliminatoires de la CAN et de la Coupe du monde. Il faudrait pour cela revenir à une CAN en année paire », propose-t-il.
« Ne plus attribuer l’organisation d’une CAN ou de CHAN à un pays pour l’aider à se doter d’infrastructures »
Selon Aboubakry Ba, ancien journaliste à la Radio télévision sénégalaise, pour que la CAF puisse maîtriser son calendrier annuel, il faut qu’elle maîtrise d’abord la question des infrastructures en Afrique. « La principale raison, elle est là, à mon avis. Que ce soit la Coupe d’Afrique des Nations, le CHAN, les compétitions U20 et 17… Tout est lié aux infrastructures. La CAN, par exemple, a atteint des standards très, très élevés et il n’y a pas aujourd’hui beaucoup de pays africains, capable de répondre à ce défi de l’organisation : 24 pays, 6 stades, 24 terrains d’entraînements… », analyse Aboubacry Ba.
« Je suis de ceux qui pensent qu’aujourd’hui, on ne doit plus attribuer l’organisation d’une CAN à un pays pour l’aider à se doter d’infrastructures, mais l’attribuer à une nation qui a déjà les infrastructures. Il faut qu’on change de paradigmes », propose le journaliste sportif.
« Les dirigeants de la CAF doivent être les premiers à défendre les intérêts du football africain »
Ibrahima Mboup, journaliste sénégalais, estime que les retards démarrent au moment d’attribuer les compétitions. « C’est ce qui est à l’origine de beaucoup de retards dans les chantiers. Le cahier des charges devient de plus en plus contraignants. Personne ne sait par exemple le pays qui va organiser la CAN 2029 ou le CHAN 2026. A ce niveau, la CAF doit faire des efforts. A titre comparatif, la FIFA attribue la Coupe du monde au moins 6 ans avant la compétition. Le pays hôte a le temps de bien se préparer et finir tous les travaux liés aux infrastructures. L’UEFA également attribue ses compétitions à temps. Pourquoi pouvons-nous pas le faire ? », s’interroge le journaliste de la RTS.
« Autre élément à prendre en compte et, c’est vraiment désolant, c’est que l’Afrique s’adapte toujours en fonction des autres compétitions. Il y a Coupe du monde des clubs, on reporte. Et cède à la pression. L’Afrique est un continent qui mérite du respect. Les dirigeants de la CAF doivent être les premiers à défendre les intérêts du football africain. A mon avis, ils ne le font pas assez comme du temps d’Issa Hayatou. Tout n’était pas rose quand il dirigeait la CAF, mais il savait dire non à la FIFA et à l’Europe », regrette Mboup.
« À force de faire des arrangements, la CAF finit par se faire prendre à son propre piège »
De son côté, le journaliste béninois, Hughes Mangni, parle d’une « infantilisation » qui est une forme de soumission totale d’une Confédération africaine aux ordres de la FIFA.
« La CAF, à force de faire des arrangements, finit par se faire prendre à son propre piège. Parmi le trio de pays retenu pour la CAN 2027, le Kenya n’a même pas joué ses matchs à domicile, il fallait attribuer cette CAN 2027 à l’Algérie qui a ses infrastructures prêtes. Les « glissements » du calendrier ne donnent pas une bonne image de la CAF qui semble être une institution incapable de planifier ses évènements », martèle Hughes Mangni.
Aliou FAYE