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Un sujet sensible, préoccupant et pas simple. Une actualité brûlante qui n’a pas encore sorti tous ses cafards…Mais ça reste un débat inévitable. Pour l’animer, Dsports a tenté de se rapprocher des acteurs du milieu. Certains ont accepté de se mouiller et situer les responsabilités. D’autres ont préféré décliner l’invitation. Faut-il dénoncer les cas de fraude sur l’âge au Sénégal ? C’est le débat du vendredi.

« Comme tous les Sénégalais, j’ai triché sur mon âge pour être professionnel. En Afrique, je ne dis même pas au Sénégal, le joueur qui ne diminue pas son âge ne pourra pas être professionnel. C’est une réalité qu’on le veuille ou non. Ce qui est sûr, c’est qu’au Sénégal, 99% des joueurs ont diminué leur âge. Le Sénégalais est en général très petit et s’il va en Europe à vingt ans, il verra que les jeunes de quinze ans sont plus costauds que lui ».

Cette déclaration de l’ancien international sénégalais Guirane Ndaw, en février 2020, au cours d’une interview accordée au portail d’informations IGFM, avait choqué le monde du football. Derrière, il avait reçu une pluie de critiques. « Pyromane qui incendie sa propre maison !! Guirane Ndaw … SHAME ON YOU », avait tiré Diomansy Kamara, ancien attaquant des Lions.

En mars dernier au Cameroun, 62 joueurs dont l’international Wilfried Nathan Douala avaient été écartés pour fraude sur l’âge.

Au Sénégal, un gardien du Stade de Mbour, club de première division, a été suspendu il y a juste quelques jours «de toutes les compétitions organisées par la LSFP pour le reste de la saison» pour avoir diminué huit ans de son âge réel.

« Bocandé, Roger Mendy et Guèye Sène jouaient avec leur âge réel »

Un phénomène qui persiste…au point de se demander s’il faut vraiment dénoncer ces fraudes sur l’âge chez les footballeurs ? « La question est délicate. Car, en soi et aux plans éthique et moral, toute fraude est répréhensible. Mais, si retailler est un moyen pour un jeune de se donner des chances de réussir dans la vie et d’aider ses proches, est-il concevable d’étaler son histoire sur la place publique ? D’autant qu’il n’a fait de mal à personne », répond le journaliste et formateur Khalifa Ababacar Ndiaye.

«Il fut un temps, la fraude portait même sur l’identité. Beaucoup de joueurs ont carrément évolué sous des noms d’emprunt. Un phénomène bien connu dans le milieu navétanes où rares sont (ou étaient) ceux qui jouaient avec leur propre identité, surtout chez les petites catégories », ajoute l’ancien journaliste du quotidien national Le Soleil.

Pour Mamadou Koumé, ce phénomène a commencé dans les années 90 au Sénégal. «La preuve, tous les anciens footballeurs qui avaient rejoint la France avant 90 étaient partis avec leur âge réel. Je pense à Roger Mendy, Jules François Bocandé, Omar Guèye Sène etc », affirme le journaliste sportif, auteur du livre « La Saga de l’équipe nationale de football ».

« C’est un problème qui est entier. Saër Seck et Diambars en avaient fait un cheval de bataille. D’ailleurs, des joueurs très connus ont été refusés par l’Académie parce qu’on a estimé que quand ils venaient, ils n’avaient pas présenté l’âge réel », révèle M. Koumé.

« Même les recruteurs occidentaux s’invitent dans la pratique »

Du côté des clubs ou Académies qui forment les joueurs, certains n’hésitent pas à combattre ce phénomène. C’est le cas de Lamine Conté, un entraîneur de football. « De façon absolue, je condamne la pratique dès lors que les ayants droit dans leur catégorie sont lésés parce qu’envahis par des plus âgés qui les dominent physiquement et mentalement », dit-il.

«Le phénomène est connu et même les recruteurs occidentaux s’invitent dans la pratique. Au niveau de notre pays, les raisons économiques ou plutôt financières semblent être le socle porteur du phénomène. Il faut juste relever les voies légales qui offrent aux fraudeurs des opportunités lors des séances foraines organisées pour donner la chance au nombre incalculable d’enfants non déclarés à la naissance de se rattraper pour disposer d’un acte de naissance», poursuit Conté.

« Une pratique qui doit être combattue »

A l’image de Lamine Conté, Vieux Ba dénonce cette pratique «qui doit être combattue par tous et particulièrement par toutes les instances sportives car elle est en porte-à-faux avec les valeurs véhiculées par le sport».

«Il ne faut pas seulement incriminer les jeunes qui ont recours à cette pratique pour, pensent-ils, se donner plus de chances de réussir dans une discipline sportive donnée. Mais aussi les dirigeants de clubs, les encadreurs, certains agents de joueurs dans le foot-business, les responsables de centres de formation publics et privés, les responsables d’écoles de football…y ont leur part de responsabilité», analyse l’ancien entraîneur du Stade de Mbour.

« Joseph Koto, paix à son âme, et Moussa Ndao ont changé d’état civil »

Un autre intervenant, qui a préféré garder l’anonymat, révèle que deux anciens internationaux, très connus d’ailleurs, ont changé d’état civil pour pouvoir évoluer à l’étranger. «Joseph Koto, paix à son âme, a changé son état civil. Il a joué au Sénégal, il a disputé la CAN 86 au Caire. C’est après qu’il est parti dans le Golfe. L’autre c’est Moussa Ndao, aujourd’hui entraîneur en Tanzanie. Ils n’ont pas déclaré leur âge réel».

« J’ai été menacé et interdit de stades pour avoir révélé des cas de fraude »

Ce n’est pas seulement en football que le phénomène de la fraude sur l’âge a été constaté. En basket, par exemple, une affaire de fraude avait secoué le milieu en 2013. Le Sénégal, vainqueur de l’Afrobasket masculin et féminin chez les U18, avait été reconnu coupable d’une telle pratique. A l’époque, le président de la Fédération sénégalaise de Basket se nommait Baba Tandian. Il sera ensuite « destitué » par le ministre des Sports de l’époque Mbagnick Ndiaye.

Ces cas de fraudes sur l’âge avaient poussé le journaliste sportif Mohamed Koulibaly à réaliser une enquête sur le sujet intitulé : « Fraude sur l’âge dans le basket sénégalais ». Un travail journalistique qui a été reconnu, en 2014, par la Convention des jeunes reporters du Sénégal comme meilleure production en presse écrite.

«Ce qui s’est passé n’était qu’un prétexte pour faire une enquête approfondie avec des faits réels. Je suis même allé à la Police de Dieupeul, c’est là-bas qu’on faisait les passeports. J’ai également fait le tour de certaines régions du Sénégal», explique Koulibaly.

A l’époque journaliste au quotidien sportif « Waa Sports », il affirme avoir reçu des menaces après la publication de l’enquête.

« Il y a des « tailleurs » spécialisés dans certains clubs »

« Le jour de la parution, le matin, mon téléphone a failli exploser. Le premier à m’appeler c’était Mama Ndiaye, celui qui était à DUC. Il m’a traité d’ennemi du Sénégal en me disant : « comment peux-tu écrire un tel article ? ». Au niveau de la Fédération sénégalaise de Basket-ball, j’étais devenu persona non grata. D’ailleurs, on m’interdisait le stade Marius Ndiaye ».

Selon plusieurs intervenants contactés par Dsports, «la fraude sur l’âge est un fléau qui gangrène le football non pas sénégalais mais africain voire international quand on sait que c’est une pratique courante dans les pays sud-américains et, dans une moindre mesure, d’Europe de l’Est».

Ce phénomène, selon Babacar Khalifa Ndiaye, «sera d’autant plus difficile à éradiquer que dans certains clubs, il y a des tailleurs spécialisés dont c’est le boulot de frauder sur l’âge des joueurs. Mais avec la numérisation des licences et avec une certaine traçabilité, il devrait bientôt être plus difficile de tricher».

Aliou FAYE

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