Directeur de développement au Casa Sports notamment durant la dernière période faste, Chérif Sadio a pris du recul en octobre 2023. Ancien footballeur, homme de médias et aujourd’hui dirigeant du SFC Neuilly-sur-Marne (National 3 France), il a, dans cet entretien passionnant, abordé plusieurs questions qui tournent autour de l’économie du football sénégalais. En bon box to box, il ne s’est pas limité au constat, Chérif Sadio a aussi dégagé plusieurs pistes qui pourraient aider le football local sénégalais à, enfin, décoller après 15 ans d’un professionnalisme vacillant.
Chérif Sadio, vous êtes dans l’organigramme du SFC Neuilly-sur-Marne, quel est exactement votre rôle dans ce club français ?
Chérif Sadio : Tout à fait, j’occupe deux rôles importants et complémentaires dans l’organigramme du SFC Neuilly-sur-Marne. D’une part, je suis responsable du développement, ce qui me permet de contribuer à la mise en place d’une stratégie ambitieuse pour le club. En France, les clubs sont soumis aux exigences de la DNCG, qui a la prérogative de reléguer en division inférieure tout club n’ayant pas les capacités financières requises ou les infrastructures nécessaires qui répondent aux normes fixées par l’Etat, la FFF ou la LFP.
Mon travail consiste à développer des projets innovants pour accroître la capacité de manœuvre du club et élargir son champ d’action, à identifier et à mettre en place des partenariats clés qui permettent de faire progresser le club, mais aussi à travailler à établir des liens avec les supporters pour renforcer leur engagement envers l’équipe. À cet égard, je travaille étroitement avec le président du club, Frédéric Mallefond, qui est mon plus proche collaborateur pour toujours préparer le club à être en conformité financière et infrastructurelle avec sa politique.
D’autre part, je suis également le coordinateur médias et communication du club. Un rôle également déterminant pour le développement car il implique de faire connaître le SFC Neuilly sur Marne et d’identifier des supports pour atteindre une audience qui dépasse notre ville, attirer de nouveaux supporters et progressivement labéliser l’entité sportive. C’est un rôle qui permet de communiquer les informations importantes du club aux différentes parties prenantes (supporters, médias, partenaires, etc.), à travers une stratégie de communication efficace, claire et transparente qui progresse. Mon rôle consiste également à organiser différentes campagnes de communication, évènements, etc. pour promouvoir les activités du club à travers ses déplacements un peu partout en Europe, à également à superviser tous les supports de communication du club, que ce soit le site internet qui est en construction, les réseaux sociaux, ou toutes autres activités liées aux relations publiques.
Est-ce juste pour vous un club tremplin permettant d’acquérir une expérience dans le management des structures sportives ou vous vous inscrivez dans le long terme à SFC Neuilly-sur-Marne ?
Chérif Sadio : Pour moi, le SFC Neuilly-sur-Marne est avant tout une opportunité de développer mes compétences en tant que gestionnaire de structures sportives et de mettre en pratique les connaissances que j’ai pu acquérir au fil de mes expériences antérieures au Sénégal. En cela, le club représente aussi un tremplin pour moi, qui va me permettre d’acquérir une expérience de gestion de club dans le football français. Cela étant dit, ma vision à long terme n’exclut pas la possibilité de viser plus loin que le National 3 français ou la Ligue 1 sénégalaise. Mon ambition personnelle me pousse à me fixer des objectifs plus larges, en suivant l’exemple de grands noms sénégalais tels que Pape Diouf (ex-Président de l’Olympique de Marseille), Babacar Ndiaye (Team Manager de Leipzig), Kader Mangane (Coordinateur sportif du RC Strasbourg).
En plus, le continent africain dispose aussi d’un potentiel inexploité en termes de développement du football professionnel, et je suis personnellement intéressé par l’idée de m’investir dans un projet plus ambitieux, soit au Sénégal, soit dans un autre pays africain, en tant que responsable du développement ou team manager, entre autres. Que cela soit dans un club ou dans une sélection nationale, je reste toujours ouvert à toutes les opportunités qui se présenteront à moi.
Chérif Sadio : « Les quelques initiatives mises en œuvre ont permis au Casa Sports de diversifier ses mécanismes de recherche de revenus, l’empêchant ainsi de dépendre uniquement des transferts ces dernières années et cela a été factuel »
Justement vous semblez moins impliqué dans les activités du Casa Sports dont vous êtes le chargé de développement. Avez-vous pris du recul au sein du club ?
Effectivement, j’ai occupé le rôle de directeur de développement au Casa Sports jusqu’à octobre 2023. Ce poste que j’expérimente depuis quelques années est apparu relativement nouveau dans le football local, car il s’appuie sur des méthodes inspirées des pratiques des grandes entreprises et équipes occidentales. Son rôle peut varier en fonction des clubs, et cela est évident, car mon rôle actuel au SFC Neuilly sur Marne est différent de celui que j’ai occupé au Casa Sports.
Le travail d’un directeur de développement permet aux équipes de développer une vision stratégique claire, d’améliorer leur compétitivité et de bâtir des mécanismes économiques et sportifs et des organisations plus solides et résilientes. À mon arrivée au Casa Sports, le club se trouvait dans une période délicate : il avait connu un succès fulgurant au cours de la première décennie du football professionnel, mais il avait ensuite rencontré des difficultés, y compris un maintien acquis de justesse en 2017 avec une communauté de supporters divisées en deux. Le président souhaitait alors que le club réconcilie sa base affective, retrouve sa place de leader et renoue avec la compétition africaine avec une bonne santé financière en appui, puisque le seul sponsor (Casamançaise) qui était là était déjà parti, y compris l’équipementier (Qelemes).
Mon rôle était donc de rendre le club plus attractif et intéressant à travers une nouvelle politique stratégique pouvant influencer les tendances futures, qui pouvaient aussi draguer des partenaires, remobiliser les supporters et influencer les performances du club sur le terrain. J’ai commencé mon travail en mettant en place Casa Sports TV, le Prix Jules Bocandé ainsi que d’autres initiatives avant même ma nomination. Nous avons ensuite défini et implémenté une vision qui donnait de l’espoir à nos supporters avec des objectifs à court, moyen et long terme pour redynamiser le club. Nous avons commencé par travailler sur l’image du club, qui s’est rapidement imposée dans le paysage audiovisuel national et sous régional même en termes de couverture médiatique dans le sport.
La chance que j’aie peut-être eu en tant que directeur du club est d’avoir réussi le casting en mettant au service du club une équipe composée de personnes très compétentes, qui maitrisent bien leurs domaines, notamment Cheikh, Abdoulaye qui nous ont été d’un apport extraordinaire avec la polyvalence de Keba, de Kaoussou, entre autres. Notre objectif était de rassembler progressivement tous les supporters et sympathisants du Casa Sports pour promouvoir une politique de merchandising dont les mécanismes allaient inscrire le club dans une dynamique de vente d’un peu plus de 120.000 maillots à 10.000 FCFA l’unité à partir de 2026, apportant un peu plus d’un milliard de francs CFA. Le Simba (Tanzanie) l’a réussi progressivement.
Nous avions également pour ambition d’orienter le club vers l’agro-business et vers l’investissement dans les transports pour faire du Casa Sports un label économique, et cela nécessitait la mise en place progressive des mécanismes pouvant aller vers cette autonomisation économique du club et tout le projet était déjà là avec ses orientations. Nous avons donc élaboré des plans d’action concrets pour améliorer tous les aspects de l’organisation, de l’administration et des finances, des performances sportives et des infrastructures jusqu’à la gestion de l’image du club.
Les quelques initiatives mises en œuvre ont permis au club de diversifier ses mécanismes de recherche de revenus, l’empêchant ainsi de dépendre uniquement des transferts ces dernières années et cela a été factuel. La gestion de l’image du club était également une responsabilité clé, car il fallait faire en sorte que le Casa Sports communique efficacement ses valeurs, ses réussites et ses ambitions à travers les médias, les réseaux sociaux et améliore également ses relations publiques et privées dans le pays et au-delà.
Nous avons mis en place des stratégies de communication pour mettre en valeur le club, augmenter la valeur marchande de nos joueurs les plus pour mieux les vendre même si c’est en Afrique, attirer certains supporters qui avaient abandonné le club et draguer de nouveaux, les sponsors et les investisseurs tout en renforçant le sentiment d’appartenance des membres du Allez Casa, des anciens joueurs qui étaient fiers de voir que leur club s’inscrivait dans une nouvelle ère, des encadreurs et des sympathisants.
Malheureusement, la gestion du succès a chamboulé les bases de cette politique qui commençait à porter ses fruits après une campagne de merchandising lucrative et inspirant qui montrait clairement aux supporters la voie à emprunter pour la diversification de l’économie du club, avec des brusques départs de joueurs cadres qui pouvaient non seulement apporter un plus sur le terrain cette saison mais augmenter leurs valeurs marchandes, sans oublier le chamboulement de la nomenclature administrative du club.
Toutes ces années ont nécessité beaucoup de sacrifices et d’investissements personnels, mais je ne regrette pas de m’être engagé puisque c’est le club de ma ville. Et, depuis octobre 2023, j’ai démissionné de mon poste puisque l’idéal commun pour lequel je m’étais engagé n’était plus à l’ordre du jour. Il était temps pour moi de partir et de laisser d’autres personnes porter le club vers de nouveaux horizons. Je reste néanmoins un fervent supporter du Casa Sports, et je souhaite à tous les membres actuels et futurs de le faire briller, en essayant de maintenir l’excellence et la rigueur qui caractérisent ce club. Cela étant, j’exprime toujours ma gratitude envers tous ceux avec qui j’ai eu le privilège de travailler et je souhaite à l’équipe tout le succès qu’elle mérite.
Votre recul a coïncidé avec la pire saison du Casa Sports depuis 5 ans. Sentiez-vous venir cette difficile transition après trois années fastes du club ?
La situation actuelle était prévisible et j’avais expliqué à l’autorité compétente les risques des dernières décisions prises et je pense qu’il en était conscient à l’époque mais tout était déjà chamboulé. Le football a des paramètres à suivre pour constamment rester performant. Nul ne doit oublier qu’il est facile d’arriver au sommet, mais qu’il est très difficile d’y rester durablement. Lorsque le succès est là, il peut parfois être difficile d’être compris et de faire passer des messages d’alerte. C’est triste de voir le club enregistrer autant de reculs après avoir été la locomotive du football local dans de nombreux domaines ces cinq (5) dernières années, mais j’espère qu’il retrouvera aussi vite le sommet car c’est un grand club et il le restera Insh’Allah. Je suis convaincu qu’il trouvera les ressources nécessaires pour remonter la pente et continuer à briller sur la scène du football local si ses dirigeants essaient de se rattraper et de corriger les erreurs de la saison écoulée.
Vous avez été journaliste puis dirigeant du Casa Sports qui fait partie des plus grands clubs du Sénégal. De l’extérieur, nous estimons que les présidents de clubs n’en font pas assez ou n’ont pas les idées et la volonté pour développer leurs structures. Partagez-vous cet avis ?
Oui, avec ma petite expérience en tant que ramasseur de balle, puis footballeur à la très courte carrière, journaliste et directeur de club dans le football local sénégalais et français aujourd’hui, je peux affirmer que certains présidents de clubs sénégalais montrent une réelle volonté de développer leurs structures. Toutefois, je suis d’accord avec vous sur le fait que beaucoup d’entre eux manquent d’idées solides, de patience et de vision claire et progressive inscrite dans un processus de développement pouvant anticiper les tendances évolutives. De plus, l’écosystème actuel du football sénégalais ne leur permet pas non plus de se comporter comme des équipes professionnelles.
Le manque de cadre juridique adéquat avec un nouveau code du sport, d’une politique de développement étatique pouvant garantir la reconnaissance de ce sport comme un métier, son uniformisation, ainsi que le manque de politique d’incitation des entreprises à sponsoriser les clubs en échange d’une exonération fiscale, la dépendance de nos clubs aux transferts de nos meilleurs locaux, représentent autant d’obstacles pour le développement de notre football. Le football est l’une des plus grandes industries que ce pays puisse avoir et l’Etat doit en être conscient.
Pour que nos clubs puissent se développer correctement, il est important que la majorité des présidents dispose d’une vision claire et de solides idées de développement accompagnées d’une patience dans la construction progressive des mécanismes d’autonomisation. Il est également important que les différents acteurs du milieu footballistique (fédérations, clubs, DTN, etc.) travaillent de concert pour créer un environnement favorable au développement des clubs locaux, à travers la mise en place d’un cadre juridique adéquat, d’une politique de développement cohérente et d’incitation de l’Etat pour les entreprises à sponsoriser le football local en échange d’une exonération fiscale.
Chérif Sadio : « Il est temps que les clubs de football sénégalais s’inspirent des modèles économiques plus durables pour garantir leur stabilité financière. Les clubs doivent se concentrer sur le développement de leur organisation, de leur administration, de leur image ainsi que de leurs performances sportives »
La dernière période faste du Casa Sports est survenue juste après les transferts d’Aliou Badji et Youssouph Badji, est-ce une coïncidence ou estimez-vous que les clubs sénégalais soient obligés de vendre chaque saison un joueur pour rester au top sur le plan national ?
Il m’arrive de lire certains observateurs qui critiquent nos clubs qui transfèrent leurs joueurs clés et d’avoir l’impression qu’ils surestiment l’économie de notre football local ou ils méconnaissent l’écosystème global de notre sport, qui expose nos joueurs au marché des transferts qui est sans aucun doute la seule source de revenus conséquents pour nos clubs. Ce n’est pas parce que le footballeur sénégalais a naturellement la cote sur le marché, c’est parce que l’un des principaux problèmes financiers de la majorité de nos clubs locaux est que leur économie repose en grande partie sur les transferts. L’économie de notre football est différente de celle des pays où le football est plus développé, et cela expose naturellement nos meilleurs footballeurs locaux à ce marché.
Nos clubs locaux ne peuvent souvent pas proposer des salaires compétitifs aux footballeurs, ce qui les rend vulnérables aux offres des pays où le football est plus développé et où les salaires sont plus élevés. Cette disparité salariale rend également les transferts sénégalais bon marché, ce qui attire les clubs des autres pays à chercher des joueurs talentueux dans notre championnat. Toutefois, pour garantir la stabilité financière des clubs locaux à long terme, il est impératif que nos clubs se réinventent en créant de nouvelles opportunités de recherche de revenus. Ils doivent diversifier la manière dont ils génèrent des revenus pour ne pas devenir systématiquement dépendants des transferts pour leur survie économique. Ils peuvent explorer de nouvelles opportunités, comme le merchandising, les partenariats, des investissements dans l’agro-business ou dans les transports pour en faire un label économique.
Il est temps que les clubs de football sénégalais s’inspirent des modèles économiques plus durables pour garantir leur stabilité financière. Les clubs doivent se concentrer sur le développement de leur organisation, de leur administration, de leur image ainsi que de leurs performances sportives, tout en explorant de nouvelles opportunités de revenus pour leur permettre de progresser de manière autonome.
Tanzanie, Soudan et Rwanda sont dernièrement les destinations de très bons joueurs de la Ligue 1 sénégalaise. Comprenez-vous que les clubs sénégalais ne puissent pas rivaliser avec ceux de l’Afrique de l’Est ? Pensez-vous que l’on puisse inverser la tendance d’ici cinq ans ?
Il sera très difficile d’inverser la tendance, car le football, qui pouvait être une industrie, n’est pas juridiquement reconnu comme un métier par l’Etat du Sénégal. Dans des pays comme la Tanzanie, le Soudan, le Rwanda, et autres, ce sport est devenu une profession qui a dépassé la passion, car leurs dirigeants ont compris que c’est une industrie. Notre pays est naturellement une terre de footballeurs talentueux, mais l’écosystème de notre football empêche nos clubs de refléter tout le potentiel que certains de nos internationaux démontrent à l’échelle internationale, et entrave également la création d’une dynamique de victoires.
Le vainqueur du championnat sénégalais reçoit entre 20 et 30 millions de francs CFA en moyenne sachant que la mise à la disposition de cette somme est parfois un parcours de combattant pour les clubs vainqueurs, sachant surtout que cette somme est considérablement insuffisante pour une équipe qui doit par la suite disputer les préliminaires des compétitions continentales face à des formations sud-africaines, tanzaniennes ou marocaines. Imagine, par exemple, un club comme le Casa Sports reçoit une prime de champion de 20 millions après avoir dépensé presque 100 millions au cours de la saison et qui doit représenter le Sénégal en compétition africaine où un seul déplacement à l’extérieur coute presque 20 millions entre les réservations d’hôtel, les billets d’avion, la nourriture, entre autres nécessités.
Il y a une sorte de mythe autour de l’argent dans ce football local, mais croyez-moi, une grande partie des dirigeants dévoués sont des bénévoles, qui essaient de faire bouger les lignes dans leurs localités. Très peu de dirigeants peuvent lever leurs mains et dire qu’ils s’en sortent grâce à ce football local, peut-être les fédéraux et les présidents de clubs. Les pays qui sont un peu plus « développés » que le nôtre en termes de football sont conscients de la vulnérabilité de notre championnat, qui ne propose pas de bons salaires aux footballeurs. Ils savent que nos clubs souffrent économiquement, ce qui rend les transferts sénégalais bon marché. Il est difficile d’expliquer les expériences personnelles vécues ces dernières années, mais je peux vous garantir que toute personne passionnée et désintéressée, ne voulant pas être déçue une, deux, vingt ou cinquante fois, ne devrait pas s’engager dans un club local sénégalais.
Il va falloir que l’État reconnaisse le football comme un métier, vote un nouveau code du sport et encourage les entreprises à sponsoriser les clubs en échange d’exonérations fiscales ou d’autres avantages. Au-delà de la non-reconnaissance juridique du football comme profession, il y a également l’absence d’une politique d’incitation pour les entreprises à sponsoriser les clubs, le manque de vision et de volonté de nos dirigeants qui siègent dans les instances de décisions du football local, juxtaposées à l’absence de mécanismes de contrôle et de surveillance pour la promotion de la transparence dans le sport, en particulier dans le football.
La vulnérabilité de notre football local conduit à ce que les meilleurs footballeurs locaux soient des proies du mercato africain et européen, où les tentations se multiplient après chaque bonne saison. Dans un pays où le football n’est pas reconnu comme un métier et où la prise de décision est souvent gérée entre amis, la situation reste précaire. La disparité salariale crée un véritable exode des talents vers des championnats offrant de meilleures perspectives financières. Les plus performants sont ainsi tentés de quitter leur club d’origine pour rejoindre des équipes étrangères où ils peuvent bénéficier de meilleures conditions salariales, et les clubs en manque de ressources sont obligés de les céder pour avoir une santé financière améliorée. Cette migration de nos footballeurs clés conduit inévitablement à l’affaiblissement de nos équipes. Certains observateurs peuvent minimiser l’impact, mais il est indéniable que cet exode prématuré de jeunes talents et de valeurs sûres du football sénégalais fragilise le championnat local et compromet ses chances de briller sur la scène continentale.
Les clubs peuvent-ils se baser sur d’autres sources de revenus différents des transferts ?
Les clubs compteront toujours sur les transferts parce qu’il n’y a pas meilleur moyen pour eux de générer plus de grosses sommes que dans ce domaine. Notre pays a une communauté d’amateurs du football local très attaché à son développement, mais une bonne partie des jeunes et des dirigeants du football local qui parlent de révolution semblent ne pas encore être prêts à faire les efforts nécessaires pour que ce changement ait lieu. Nos clubs ne peuvent dépendre que des transferts pour renflouer leurs caisses, espérant disposer d’une santé financière constamment instable en raison de la volatilité du marché.
Au-delà des transferts de joueurs, certains observateurs évoquent systématiquement et souvent le sponsoring comme une source majeure de revenus pour les clubs locaux. Cependant, compte tenu de notre écosystème national actuel, ces ressources ne peuvent pas être stables ni réellement aider les clubs dans la durée. Le problème de notre football est plus complexe et profond. Il est important de repenser notre politique sportive et de mettre en place des mécanismes capables d’influencer les tendances futures et de créer une dynamique de victoires à tous les niveaux. Mais, à l’instar des Mamelodi Sundowns, du Simba SC et du Raja, nos clubs locaux doivent se concentrer sur les trois sources qui permettent naturellement à des équipes bien structurées de générer des revenus constants. Il s’agit de la billetterie (cartes de membre, abonnements, etc.), des droits de télévision et du sponsoring, y compris le merchandising (vente de maillots).
Les transferts de joueurs et le sponsoring sont souvent perçus comme des sources de revenus majeures pour les clubs de football. Ces ressources ne sont pas stables, en particulier dans des contextes comme celui du Sénégal. Les transferts, bien qu’ils puissent rapporter des sommes considérables, sont par nature imprévisibles et irréguliers. Les clubs ne peuvent pas compter sur des ventes de joueurs constantes chaque saison. De plus, vendre des joueurs talentueux affaiblit les équipes et crée une instabilité dans les performances même si les présidents préfèrent que les comptes de leurs clubs soient plutôt remplis qu’autre chose. Une pratique qui limite également la capacité de nos clubs à construire des équipes cohérentes et compétitives sur le long terme. Le sponsoring, quant à lui, est également une ressource incertaine.
Les sponsors sont souvent attirés par les équipes performantes et visibles sur la scène nationale et internationale. Lorsque les performances sportives d’un club déclinent, ou si le club évolue dans un environnement où le football n’est pas juridiquement reconnu comme un métier, les sponsors peuvent se retirer, avoir des doutes ou réduire leur soutien financier. Au Sénégal, où le football manque de reconnaissance juridique en tant que profession, les clubs font face à des défis supplémentaires pour attirer et maintenir des sponsors de manière stable. Dans ce contexte, il est impératif que nos clubs locaux diversifient leurs sources de revenus pour assurer leur stabilité financière. Deux leviers économiques potentiels sont la billetterie avec l’achat des cartes de membres et le merchandising avec l’achat des maillots et des produits dérivés. Cependant, pour que ces leviers deviennent efficaces, il est nécessaire d’éduquer progressivement leurs supporters.
Les clubs doivent encourager l’adoption de ces systèmes, tels que l’achat de billets saisonniers et de cartes de membres. De plus, développer une culture d’achat d’articles de club, comme les maillots et autres produits dérivés, peut générer des revenus substantiels et réguliers. L’État doit également jouer un rôle facilitateur en incluant des réformes pour reconnaître juridiquement ce sport comme un métier, ce qui pourrait attirer davantage de sponsors. En outre, l’État pourrait aussi soutenir les clubs en améliorant les infrastructures sportives et en lançant des campagnes de sensibilisation sur l’importance de soutenir le football local, incitant les entreprises encore une fois à sponsoriser les clubs locaux en échange d’une exonération fiscale pour leur faciliter la tâche.
Quelle est la solution face à ce phénomène, d’après vous ?
Une restructuration globale est nécessaire pour résoudre cette situation, impliquant une participation active de l’État en collaboration avec la FSF. Le football a le potentiel d’être un véritable catalyseur de développement s’il est réorganisé de manière adéquate. L’état actuel du championnat sénégalais est préoccupant. Malgré les talents indéniables et la réussite de certains footballeurs sénégalais au niveau international, beaucoup évoluent dans un environnement de mauvaise infrastructure, de salaires irréguliers et de manque de mesures de sécurité au niveau local, ce qui est inacceptable et doit être résolu.
Les défis auxquels le championnat local est confronté sont profondément ancrés dans un ensemble complexe de problèmes qui ne peuvent être résolus par le secteur privé seul. Cette restructuration doit viser à résoudre des problèmes clés tels que l’infrastructure, la bonne gouvernance du championnat, la viabilité financière des clubs et le développement des joueurs locaux. Le régime actuel pourrait également fournir des exonérations fiscales pour les entreprises qui seraient prêts à investir dans le développement de ce sport. Il est essentiel d’établir un modèle de gouvernance moderne et transparent, capable de protéger le sport contre les interférences politiques, ainsi que des mécanismes de gestion financière efficaces tels que la Direction Nationale de Contrôle de Gestion (DNCG) pour garantir une gestion rationnelle et optimale, des dirigeants, des ligues et des clubs.
Le football a le potentiel d’être un outil puissant pour le développement au Sénégal. Il peut créer des emplois, stimuler l’économie et promouvoir l’harmonie sociale au sein de nos différentes communautés. Cependant, pour que ce potentiel soit réalisé, l’écosystème du championnat doit être restructuré. En travaillant ensemble, l’État et la FSF peuvent établir les bases d’un avenir meilleur pour le football au Sénégal.
Chérif Sadio : « La démarche de l’État pour la restructuration du football sénégalais est louable, car cet environnement actuellement mal conçu ne favorise pas une gestion efficace des sports, en particulier du football »
L’Etat a lancé des audits sur la gestion financière de la FSF, que pensez-vous de la démarche des nouvelles autorités ?
La démarche de l’État pour la restructuration du football sénégalais est louable, car cet environnement actuellement mal conçu ne favorise pas une gestion efficace des sports, en particulier du football. Les failles de cet écosystème se manifestent par un manque de transparence et de contrôle des finances publiques et privées, menant à des situations où la Fédération Sénégalaise de Football (FSF) doit justifier sa gestion. Cependant, il ne faut pas oublier la gestion des ministres des sports sortants.
Pour remédier à ces problèmes, il est urgent de mettre en place un écosystème assaini et structuré, avec des mécanismes robustes permettant à l’État de contrôler efficacement les finances publiques et privées. Un tel environnement garantirait une gestion transparente et responsable, réduisant les risques de mauvaise gestion et de corruption.
Dans cette optique, je m’étais récemment prononcé dans la presse pour la création d’une Direction Nationale de Contrôle de Gestion (DNCG) pour surveiller et réguler les finances des organisations sportives. Ce serait un organisme indépendant chargé de contrôler les finances de la FSF afin d’éviter les situations où la FSF doit justifier sa gestion dans l’urgence. Un écosystème bien structuré, avec des mécanismes de contrôle solides, assure une gestion transparente et responsable des ressources.
En outre, l’État doit mettre en place une fiscalité abordable et proactive pour le football en amenant l’Office National de la Formation Professionnelle (ONFP) et les instituts de formation établis dans le pays à nouer des partenariats avec les clubs pour des transferts de compétences. Une société étatique comme la SOGIP S.A peut également promouvoir une politique de nomination avec des entreprises telles que SOCOCIM, Orange, Wave pour la création des infrastructures. Cette politique doit être contrôlée par la DNCG, tout comme l’achat des droits de diffusion des rencontres organisées par la FSF par la RTS ou tout autre média.
Le recours à des contrôles réguliers et à des audits préventifs permettrait de détecter et de corriger les problèmes de gestion avant qu’ils ne deviennent critiques. Une gestion structurée permettrait ainsi d’avoir une économie solide, réduirait les risques de crise administrative et de scandales financiers, et créerait un environnement plus stable et propice au développement du football. La transparence et la responsabilité financière renforceraient également la confiance des investisseurs privés et publics, favorisant ainsi l’investissement dans le football.
La mise en place d’un écosystème bien structuré, d’une fiscalité abordable et proactive, et d’un cadre réglementaire strict permettront de favoriser l’investissement et le développement du football sénégalais. Quand l’écosystème est structuré, les hommes et leur gestion posent moins de problèmes car les mécanismes sont plus solides que les individus. La solution réside dans la mise en place d’une DNCG pour mieux contrôler les finances dans le sport. Cela évite le « médecin après la mort ».
Justement, en tant qu’homme de média, comment la FSF et la Ligue Pro peuvent-elles vendre l’image du football local ?
Bien que je ne puisse me réclamer comme précurseur, je peux me compter parmi ceux qui ont mis en place et développé stratégiquement une politique de diffusion des rencontres en direct du championnat par les clubs locaux eux-mêmes. Bien que ce modèle ait permis de promouvoir et de rapprocher le football local de ses supporters, la mauvaise gestion des droits de diffusion par la FSF et la LSFP constitue une opportunité manquée et une source de frustration et engendre un manque à gagner important parce qu’ils ne vendent pas les droits de manière lucrativement monétisée.
Il est urgent de réformer ce système pour garantir une valorisation adéquate des droits de diffusion, assurant ainsi une rentabilité économique et un développement durable du football local. La FSF et la LSFP n’ont pas su capitaliser sur les droits de diffusion, laissant un potentiel financier énorme inexploité. Le fait que les clubs diffusent les matchs en direct sans monétisation adéquate n’apporte aucune rentabilité économique aux instances nationales. Cette situation est d’autant plus frustrante que les médias privés et la RTS1 profitent de cette lacune pour diffuser les matchs, notamment la finale de la Coupe du Sénégal, sans acheter de droits.
Ces médias génèrent des revenus publicitaires substantiels grâce à ces diffusions, profitant ainsi du travail et de l’investissement des clubs et des acteurs du football local sans contribuer financièrement à leur développement. Un exemple poignant de cette mauvaise gestion est le contrat entre la LSFP et la chaîne 2STV, à qui les droits de diffusion ont été légués sans jamais révéler le montant ni les détails du contrat. Cette opacité empêche toute transparence et rend difficile l’évaluation de la valeur réelle de ces droits. Pendant ce temps, des médias privés et les clubs continuent de diffuser les matchs du championnat, perpétuant une situation d’impunité totale où les bénéfices économiques ne sont pas redistribués de manière équitable.
L’Etat et les instances du football doivent créer une plateforme en collaboration avec les réseaux de téléphonies mobiles pour établir une promotion de pass-internet par exemple pour suivre la plateforme qui sera créée, en s’inspirant du perperview. Sur les 18 millions de citoyens, nous sommes peut-être 500.000 sénégalais à suivre ou à soutenir le football local. En échange, si l’État de concert avec la FSF et LSFP nous propose une plateforme annuelle dont l’abonnement est à 5.000 FCFA, cela représenterait deux milliards cinq cents millions (500.000 personnes x 5.000 FCFA = 2.500.000.000 FCFA) de revenus, suffisants pour créer des conditions favorables au développement de notre football local. J’ai théorisé cette idée depuis plus de 6 ans, mais je prêche toujours dans le désert il me semble. Certains membres de la fédération actuelle et du ministère des sports d’alors possèdent le dossier que j’ai rédigé il y a longtemps, exposant les mécanismes ainsi que les estimations.
La gestion des droits de diffusion illustre une problématique complexe et profonde dans nos instances, qui reflète une gouvernance inadaptée et une mauvaise valorisation des actifs du football national. Cette mauvaise gestion a des conséquences néfastes sur l’écosystème du football local, les clubs étant déjà financièrement fragiles et ne bénéficiant pas des revenus qu’ils pourraient générer par une commercialisation adéquate des droits de diffusion. Cela limite leur capacité à investir dans des infrastructures, à développer des talents et à améliorer les conditions de travail des joueurs et du personnel. De plus, l’absence de revenus significatifs empêche ces instances de réinvestir dans le développement du football à tous les niveaux, de l’amateurisme au professionnalisme.
Pour remédier à cette situation, il est impératif que l’Etat et nos instances de décisions prennent des mesures concrètes pour valoriser les droits de diffusion. Cela implique de négocier des contrats transparents et équitables avec les chaînes de télévision et les plateformes de streaming, en veillant à ce que les revenus générés soient redistribués de manière juste aux clubs et aux acteurs du football local. De plus, il est essentiel de mettre en place un cadre réglementaire clair pour encadrer la diffusion des matchs par les médias privés et les clubs, garantissant ainsi une monétisation adéquate de ces diffusions.
De même, la Fédération Sénégalaise de Football (FSF) doit encourager la vente des droits de diffusion des compétitions de nos différentes équipes nationales, comme cela se fait dans les pays développés. Cela permettrait en effet une plus grande exposition du football sénégalais et la génération de revenus essentiels pour financer les structures de développement du football de manière générale. Il est important de souligner que la valorisation des droits de diffusion du football local sénégalais ne peut être limitée à une simple question de vente de droits. Elle constitue également un enjeu de développement social et économique pour le pays. En garantissant une gestion équitable et transparente des revenus du football, les autorités et les instances peuvent contribuer à favoriser la création d’emplois, l’amélioration des infrastructures et le développement de l’ensemble du football sénégalais.
Malgré les difficultés financières de pratiquement plusieurs clubs, la LSFP a décidé de passer à 16 équipes en Ligue 1 et en Ligue 2. Est-ce une bonne idée selon vous ?
La décision de la LSFP de passer à 16 équipes en Ligue 1 et Ligue 2 ne me semble pas être une solution rapide à la crise financière actuelle du football local et elle ne résout pas non plus les problèmes de calendrier qui ont longtemps empêché les clubs vainqueurs de la Coupe du Sénégal de participer à la Coupe CAF. Il est nécessaire de chercher à maitriser le calendrier et de garantir une participation correcte des clubs, et de concentrer notre énergie pour développer l’ensemble du football sénégalais, plutôt que de se concentrer uniquement sur le nombre d’équipes en Ligue 1.
Rappelons-nous que les finales de la Coupe du Sénégal ont été disputées après la date limite d’inscription du deuxième représentant sénégalais à la Coupe CAF. Cette année encore, le Jaraaf à l’image du Casa Sports ou de Diambars il y a quelques années, va disputer la Coupe CAF en tant que deuxième de Ligue 1 et non en tant que vainqueur de la Coupe du Sénégal même si les finalistes de cette année avaient déjà manifesté leur incapacité financière à représenter le pays dans cette compétition continentale. Cela soulève la nécessité pour la LSFP de se concentrer davantage sur la maîtrise de son calendrier, plutôt que d’ajouter des équipes dans la Ligue.
Il est important de faire en sorte que les clubs représentent convenablement le pays lors des compétitions africaines en garantissant un calendrier efficace qui permet de satisfaire les exigences de la CAF. À cet égard, les clubs doivent être annoncés à temps pour assurer leur inscription à temps. Il est également important de garantir que le championnat dispose de deux divisions solides et relevées (Ligue 1 et Ligue 2) avec des clubs attractifs et puissants. Le nombre d’équipes dans la Ligue 1 ne compte pas autant que l’attractivité, la compétitivité et le niveau des matchs.
Les dirigeants doivent se concentrer sur le développement de l’ensemble du football local sénégalais en travaillant à élever le niveau de la formation des joueurs, des infrastructures sportives et de la gestion des équipes. En outre, pour garantir une stabilité financière aux clubs, il est plus qu’urgent de chercher à diversifier les mécanismes de recherche de revenus et d’explorer des opportunités de partenariats et d’investissement dans des secteurs économiques pertinents.
Recueillis par Demba VARORE
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Je ne comprends que des gens comme chérif Sadio qui maîtrisent tellement l’environnement du sport de haut niveau ne soient pas solliciter par nos autorités pour faire bouger les choses.
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